The role of politics and paganism in the euhemerization of Jesus (according to P.-L. Couchoud)

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Giuseppe
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The role of politics and paganism in the euhemerization of Jesus (according to P.-L. Couchoud)

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PÉRIODE DE CRÉATION LÉGENDAIRE. — Là commence la troisième période. C'est une période de synthèse. Entre les Jésus juif et le Jésus grec que je viens de vous esquisser, une synthèse s'établit. On refusa d'aller aussi loin que Marcion, et de renier entièrement le judaïsme. Il y avait à cela des raisons religieuses: c'était pour le christianisme s'amputer mortellement que de s'amputer de toutes les Ecritures juives dans lesquelles on avait vu, jusqu'ici, la parole de Dieu. Il y avait aussi des raisons politiques extrêmement importantes. Les persécutions commençaient (nous sommes sous Trajan), et le christianisme sentait qu'il y avait intérêt pour lui à se rejudaïser pour pouvoir opposer aux persécuteurs les privilèges des Juifs.
M. Loisy, dans ses admirables travaux sur les Actes des Apôtres et sur l'Evangile de Luc, montre que l'idée principale de l'auteur commun de l'Evangile et des Actes est d'exprimer par tous les moyens possibles que le christianisme, c'est le judaïsme, le vrai judaïsme, que les Juifs se sont mis en dehors de leur propre religion, et que le christianisme est la réalisation même des prophéties et des espérances juives.
Cela avait un but pratique. On pouvait dire aux magistrats romains, devant lesquels on comparaissait: «Les Empereurs ont donné des privilèges aux Juifs, entre autres celui de ne pas adorer les dieux. Ces privilèges, c'est nous qui les réclamons parce que c'est nous les Juifs». Pour cette raison très importante on ne suivit pas Marcion dans la tentative radicale qu'il proposait au christianisme: couper tous les ponts avec le judaïsme. Mais on garda de la seconde période l'idée essentielle, l'idée principale, du personnage véritbalement divine et déjà manifesté.
Mais on n'accepta pas la façon dont, dans l'école marcionite, et d'une façon générale dans les écoles gnostiques, on représentait ce personnage spirituel. On voulut avoir un personnage de chair et d'os, un personnage qui eût vraiment existé, au sens vulgaire du mot. Il faut bien nous rendre compte des diverses représentations que les hommes se font de l'existence. Le mot exister a des sens extrêmement différents. Il n'était pas compris de même par des Juifs, par des mystiques grecs ou par le vulgaire.

Pour un Juif, exister, c'était exister dans la parole de Dieu. Le Messie transcendant existe puisque Daniel en parle, le Serviteur mystérieux existe, puisque Isaïe en parle. Est-ce dans le passé, dans le futur, ou dans les deux? La chose est mal déterminée. Le verbe hébreu qui ne fait pas de différence de plan entre le passé et le futur se prête à cette indécision de la pensée. Existait pour les premiers Chrétiens ce dont les Ecritures parlaient. Jésus, par conséquent, avait une existence garantie.

Pour un mystique grec, exister était autre chose. Exister, pour un mystique, veut dire exister spirituellement. Ce n'est pas l'existence corporelle, l'existence matérielle qui importe, mais l'existence qu'on perçoit dans l'extase ou plus généralement dans la vie religieuse. Pour un mystique, pour une âme religieuse quelconque, Dieu existe, beaucoup plus que les hommes. L'invisible a la réalité suprême, l'existence la plus complète et la plus parfaite.

Mais pour le vulgaire, auquel, de plus en plus, le christianisme s'adressait, le mot exister avait un troisième sens. Pour le vulgaire, exister ne s'entend que matériellement. Les foules païennes avaient tellement cette conception de l'existence qu'elles l'appliquaient à leur propres dieux. Apollon, Aphrodite, au gré de certains, avaient été un homme, une femme, qui avaient réellement vécu. C'est une tendance d'esprit presque fatale qui poussait le christianisme vers la matérialisation. Nous le voyons dans la vive réaction antimarcionite qui nous est accessible dans les écrits de Justin, dans les lettres d'Ignace d'Antioche et, plus tard, dans Tertullien. On réclama pour Jésus un vrai corps, du vrai sang. On le conçut, non plus comme un être purement spirituel, comme voulaient les marcionites, mais aussi comme un être de chair et de sang, comme un être ayant parfaitement vécu, et, par conséquent, qui s'était inséré quelque part dans l'histoire.

C'est dans cette atmosphère que furent composés les évangiles synoptiques. Les éléments en furent tirés, d'une part, des Ecritures juives qui donnaient tant de détails sur le Messie; d'autre part, des manifestations nombreuses de l'Esprit dans les communautés et de tout ce qui était déjà arrivé aux chrétiens depuis la mort d'Etienne; en troisième lieu, des oracles très nombreux qu'on avait recueillis dans les cénacles chrétiens et attribués légitimement à Jésus-Esprit; enfin, de Josèphe, qu'on avait sous les yeux et qui donna un cadre historique à cette dernière représentation de Jésus que nous trouvons das les évangiles synoptiques.

C'est celle qui s'est imposée au monde, aussi bien aux croyants qu'aux incroyants et celle qui a effacé toutes les représentations antérieurs et toutes les longues étapes qu'on avait dû parcourir pour arriver jusqu'à elle.

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