Joseph Turmel's solution of the enigma called «John the Baptist»

Discussion about the New Testament, apocrypha, gnostics, church fathers, Christian origins, historical Jesus or otherwise, etc.
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Giuseppe
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Joseph Turmel's solution of the enigma called «John the Baptist»

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From Histoire des Dogmes, t. V, p. 143-152:



LE BAPTÊME


Le baptême chrétien, considéré au point de vue historique, comprend quatre études relatives l'une à son origine, la seconde à ses effets, la troisième à sa liturgie, la quatrième à son ministre.

CHAPITRE PREMIER

ORIGINE DU BAPTÊME


Elle dépend de la solution que l'on donne à deux difficultés provenant l'une des textes évangéliques qui racontent l'institution du baptême, l'autre des récits qui ont trait aux rapports de Jean-Baptiste et de Jésus (la priorité de Luc sur Matthieu étant certaine, les textes communs aux deux évangiles seront cités d'après Luc).

ARTICLE 1. ÉLÉMENTS DU PROBLÈME

La première difficultè résulte du contraste qui existe entre Luc 3, 3 et les autres évangiles. D'après Luc, Jean-Baptiste prêcha dans le pays du Jourdain le baptême de repentance pour la rémission des péchés. Or, l'évangile de saint Jean raconte 3, 22 que Jésus, accompagné de ses disciples, vécut quelque temps dans la Judée et qu'il y baptisa au grand scandale des disciples de Jean-Baptiste qui 3, 26 dénoncèrent cette concurrence à leur maître. D'autre part, nous lisons dans la finale de saint Marc 16, 16 que Jésus promulgua la loi sur le baptême quand, après sa résurrection, il envoya ses disciples prêcher l'évangile dans le monde entier: «Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé». Et l'évangile de saint Matthieu, qui rapporte la même scène, met dans la bouche du Christ ressuscité les paroles suivantes 28, 19: «Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit». Ajoutons que cette loi du baptême placée par Marc et Matthieu après la résurrection du Christ a été, d'après saint Jean 3, 5 promulguée par Jésus dès le début de sa carrière évangélique par l'oracle suivant: «Si on ne naît d'eau et d'Esprit on ne peut entrer dans le royaume de Dieu». Mais il faut dire immédiatement que cette difficulté n'a été prise au sérieux ni par les théologiens, ni par les critiques indépendants. Les premiers l'ont résolue le plus simplement du monde en notant que Jean-Baptiste a reçu de la Providence la mission d'être le précurseur du Christ. Le seul vrai baptême est celui que Jésus a fondé. Le rite du précurseur n'avait d'autre rôle que de préparer les populations à recevoir le moyen de salut établi par le Sauveur du monde. Quant aux critiques indépendants leur verdict est celui-ci: L'évangile de siant Jean appartient entièrement au domaine de la fiction. La finale de saint Marc est une interpolation qui n'est pas antérieure au milieu du second siècle et elle n'a aucune valeur historique. De même la finale de saint Matthieu est, elle aussi, d'origine tardive et elle n'a aucun contact avec l'histoire. Le baptême chrétien a été emprunté à Jean-Baptiste, soit par Jésus lui-mvme, soit par ses disciples. En toute hypothèse, il dérive du baptême de Jean. Jean lui-même n'a d'ailleurs, à proprement parler, rien inventé. Il s'est borné à utiliser des rites d'ablution inscrits dans la loi mosaïque: Exode 11, 17; Nombres 19, 7-8.

La seconde difficulté incomparablement plus grave, comprend trois éléments, à savoir: 1° l'incohérence des textes évangéliques quand ils traitent de la mission de Jean-Baptiste; 2° l'hostilité que les récits évangéliques signalent chez les disciples de Jean à l'égard de Jésus; 3° l'opposition attestée par l'évangile entre la conduite de Jean et celle de Jésus.

1. Incohérece des textes évangéliques relativement à la misison de Jean-Baptiste. — Elle consiste en ce que certains textes font de Jean le précurseur de Jésus, tandis que d'autres lui assignent la même mission qu'à Jésus. Ceux qui présentent Jean comme le précurseur de Jésus chargé de lui préparer les voies sont les suivants:

a) Quand Élisabeth est en présence de Marie, Luc 1, 41, son enfant tressaille dans son sein et elle dit: «Comment m'est-il accordé que la mère de mon seigneur vienne auprès de moi ?»

b) On se demande dans le peuple si Jean n'est pas le Christ, et la réponse de Jean tend à montrer qu'il ne l'est pas (Luc 3, 15).

c) Quand Jésus reçoit le baptême de Jean, une voix se fait entendre du ciel; elle dit (Luc 3, 22): «Tu es mon fils bien-aimé, en toi j'ai mis toute mon affection»; et cette voix suppose manifestement que Jésus a le monopole de la filiation qui lui est attribuée et que Jena n'y participe pas.

d) Après que les envoyés de Jean auprès de Jésus sont partis, Jésus (Luc 7, 27) applique à Jean la prophétie de Malachie où il est question d'un messager chargé de préparer les voies à un autre personnage, lequel est Jésus lui-même.

A l'encontre de ces textes, Jean paraît investi de la même mission que Jésus dans les endroits de sa prédication où il menace les Juifs de la colère divine s'ils ne reviennent pas à Dieu (Luc 3, 7):


Races de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? Produisez donc des fruits dignes de la repentance et ne vous mettez pas à dire en vous-mêmes: «Nous avons Abraham pour père». Car je vous dèclare que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Déjà même la cognée est mise à la racine des arbres. Tout arbre donc qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu... Moi je vous baptise d'eau. Lui il vous baptisera de saint esprit et de feu. Il a son van à la main. Il nettoiera son aire et il amassera le blé dans son grenier; mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteindra pas.



A cette époque les pieux juifs, courbés depuis Pompée, sous le joug de Rome enveloppaient dans la même exécration la puissance romaine et les Juifs apostats qui s'étaient livrés à elle. Trop faibles pour se libérer eux-mêmes ils se tournaient vers le ciel et ils attendaient l'intervention vengeresse de Dieu. Jean est l'interprète de ces colères et de ces espoirs. Dieu a son van à la main. Il va venir remettre les choses en ordre dans son aire, c'est-à-dire dans la Palestine. Les Romains et tous les pécheurs qui se sont rangés de leur côté vont être traités comme la paille que l'on jette au rebut. Ils seront massacrés et leurs cadavres seront consumés par le feu (il s'agit du feu de la vallée d'Hinnom; voir Hist. des Dogmes, 4, 251). Le bon grain, qui se compose des Juifs fidèles, sera logé dans la grange, dans le royaume de David qui va être rétabli. Un double baptême est donc à la veille d'être administré: baptême de feu pour les Romains et leurs suppôts; baptôme de l'esprit saint pour les pieux Juifs. Et le moyen d'échapper au premier de ces baptêmes, le moyen d'obtenir le second, c'est de recevoir le baptême d'eau que Jean administre dans le Jourdain, parce que cette eau lave les souillures contractées au voisinage des Romains et de leurs infâmes partisans.

Dans cette prédication, Jean est un précurseur, il prépare des voies. Mais c'est à Dieu lui-même qu'il prépare les voies. C'est du céleste justicier qu'il est le précurseur. Sa misison est de marquer du sceau de l'eau baptismale ceux qui, au jour du grand massacre, devront être épargnés. Et son rôle ne change pas quand il dit:


Il vient celui qui est plus puissant que moi et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure.



C'est encore de Dieu qu'il parle ic; du Dieu hébraïque qui «a son van à la main» et qui possède un organisme comme le nôtre, puisqu'il est un gésnt à face humaine.

En bref, Luc nous sert deux interprétations inconciliables du rôle de Jean-Baptiste. D'où vient cette contradiction ? Il faut, semble-t-il, en demander l'explication aux données divergentes que Luc a recueillies sur Jésus. Je dis sur Jésus. Et cette divergence des données a sa source elle-même dans l'opposition de influences subies. Luc est, avant tout, le disciple de Paul et, par l'intermédiaire de Paul, il a été initié à la tradition d'Antioche. Mais il a été aussi en contact avec l'apôtre Jacques au cours du voyage qu'il fit à Jérusalem en compagnie de Paul en l'an 58 (Actes 21, 28). Familiarisé par l'intermédiaire de Paul avec le portrait que l'on traçait de Jésus à Antioche, il a reçu de Jacques celui que l'on se faisait du Maître à Jérusalem. On va voir bientôt pourquoi et en quoi les deux images différaient. On se borne ici à mentionner leur opposition. Luc s'est trouvé en possession de deux christologies qui, pour lui, avaient droit à la même vénération et qui étaient irréductiblement opposées. Il s'est fait un devoir de les concilier à tout prix. Et c'est l'accomplissement de cette tâche qui l'a amené à sacrifier l'homogeneité de l'image de Jean-Baptiste. On verra plus loin comment ceci est sorti de cela. Ici retenons simplement que, sous la plume de Luc, Jean-Baptiste est tantôt le précurseur de Jésus et tantôt le précurseur de Dieu lui-même. [1]

2. Hostilité des disciples de Jean contre Jésus. — Plusieurs récits évangéliques font intervenir çà et là les disciples de Jean. Si, de notre propre autorité, nous signalions dans quelques-uns de ces récits ds traces de l'hostilité des disciples de Jean contre Jésus, on nous accuserait de nous laisser dominer par la passion et le parti pris; de ce chef notre interprétation serait dénuée de toute valeur. Nous allons donc recouvrir à l'arbitrage des Pères, nous allons les interroger et leur demander comment ils ont compris certains récits évangéliques où apparaissent les disciples de Jean, ce qu'ils ont vu dans ces récits. L'objectif des citations qu'on va lire est de mettre sous les yeux du lecteur l'interprétation donnée par les Pères à certaines assertions de lévangile. Quand l'interprétation aura été constatée on en mesurera la portée.

Dnas le quatrième évangile 3, 26, les disciples de Jean-Baptiste qui viennent de se disputer avec un Juif au sujet du baptême, vont trouver leur maître et lui disent: «Rabbi, celui qui était avec tou au delà du Jourdain et à qui tu as rendu témoignage, baptise et tous vont à lui». Voici le commentaire de saint Jean Chrysostome sur cette scène (in Jo. hom. 29, 1 fin):


Les disciples de Jean étaient jaloux des disciples du Christ et du Christ lui-même (zelotupôs... kai pros auton de ton Christon). Voyant que les disciples du Christ baptisaient, ils apostrophaient ceux qui avaient reçu le baptême et prétendaient que leur baptême à eux était supérieur au baptême des disciples du Christ.



Chez saint Augustin la même scène donne lieu à l'observation suivante: in Jo. tract. 13, 8:


Jean baptisait, le Christ baptisait. Les disciples de Jean s'émurent (moti sunt discipuli Joannis) quand ils virent que l'on venait à Jean, mais que l'on accourait au Christ... Les disciples de Jean furent troublés (turbati sunt) et ils eurent avec les Juifs des altercations comme il arrive en pareil cas. Les Juifs disaient que le Christ était supérieur et que l'on devait rechercher son baptême. Mais le baptême de Jean était défendu par ses disciples qui ne comprenaient pas encore (illi... defendebant baptismum Joannis).



Dans l'évangile de saint Matthieu 9, 14, on lit que les disciples de Jean accompagnés des pharisiens, demandèrent à Jésus pourquoi ses disciples à lui ne jeûnaient pas alors qu'eux-mêmes observaient le jeûne. Saint Jérôme dit à ce propos (in Matth. 9, 14):


Les disciples de Jean étaient dominés par le vice (sub vitio). Autrement ils n'auraient pas chicané ainsi celui que la voix de leur maître, ils ne l'ignoraient pas, avait proclamé.



Dans Luc 7, 23, Jésus, qui vient de faire des miracles, devant les messagers de Jean leur dit: «Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute». Saint Jérôme fait sur cette réponse l'observation suivante (in Matth. 11, 6):


Matth. 11, 6 [il vient de dire que Jésus répond non aux questions posées par Jean mais «ad scandalum nuntiorum», il ajoute]. Cette pointe vise les messagers (inernuntios percutit).



Voici le commentaire de Chrysostome sur ce récit (in Matth. hom. 36, 1 fin):


Les disciples de Jean étaient opposés à Jésus-Christ (apepedôn tou Iesou). Ceci ne fait aucun doute. Ils étaient jaloux de lui (zelotupôs pros auton). La preuve évidente de cette jalousie est fournie par leur démarche auprès de Jean pour lui dire: «Celui qui était avec toi au delà du Jourdain et à qui tu as rendu témoignage, le voilà qui baptise et tous vont à lui...» Ils croyaient que Jésus était un homme ordinaire tandis que Jean était selon eux au-dessus des hommes.



Augustin exprime la même pensée en termes plus modérés (sermo 66, 4). Lui aussi nous dit que Jean envoya des messagers au Christ pour affermir la foi de ses disciples. Et arrivé à l'endroit où Jésus dit: «Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute», il met dans la bouche du Christ ce commentaire: «C'est pour vous que je dis cela, non pour Jean» (de vobis dico non de Joanne).

Le plus grand docteur de l'église grecque et les deux plus grands docteurs de l'église latine sont donc d'accord à constater dans certains récits évangéliques des indices d'une hostilité des disciples de Jean contre Jésus. On ne peut d'ailleurs lire ces docteurs sans arriver à la conviction absolue qu'lis ne se trompent pas, que leur interprétation est exacte. Et l'on est amené inéluctablement à conclure que les évangiles témoignent, en effet, itérativement, d'un antagonisme non pas entre Jean et le Christ, mais entre les disciples de Jean ou, si l'on veut, entre le parti de Jean, et le Christ.

Que vaut ce témoignage ? Il est complexe puisqu'il comprend deux récits de Matthieu, un du quatrième évangile et n de Luc. Mais des deux récits de Matthieu l'un, celui de 11, 2, n'est que le décalque de la scène de Luc 7, 18, qui nous fait assister au message de Jean-Baptiste. L'autre, celui de 9, 14 est la déformation systématique d'une scène racontée par Luc 5, 33 (chez Luc la plainte contre les disciples de Jèsus n'émane que des pharisiens; à ceux-ci Matthieu dans le seul but de corser l'incident, a ajouté les disciples de Jean); le récit tel qu'il le présente est une pure fiction. La même observation s'applique au récit du quatrième évangile qui, d'ailleurs, d'un bout à l'autre, est en dehors de la réalité. Matthieu et le quatrième évangile ont utilisé et exploité, chacun à sa manière, un renseignement qui avait cours à leur époque (environs de 140). Mais c'est Luc qui est l'auteur responsable de ce renseignement, c'est lui qui l'a mis dans la circulation en l'encadrant dans la scène du message de Jean-Baptiste.

Et, de nouveau, se pose la question: que vaut son témoignage ? Quand on se rappelle que les miracles authentiques de Jésus étaient d'humbles guérisons qui avaient pour bénéficiaires surtout des démoniaques, c'est-à-dire des névrosés (Marc 1, 23-24); quand on sait que la guérison de l'aveugle de Bethsaïde (Marc 8, 22-26) fut accomplie en cachette et sans contrôle, l'aveugle ayant reçu l'ordre de ne pas rentrer au village, on ne peut tenir que pour fictive l'abondante thaumaturgie rapportée par Luc 7, 22 et où interviennent pêle-mêle des aveugles, des boîteux, des lépreux, des sourds et des morts. Luc sait bien qu'il a puisé dans son imagination tout ce décor extérieur dont il se sert pour illustrer sa thèse de l'hostilité des disciples de Jean contre Jésus, et li est le premier à ne pas y croire. Mais sur la thèse elle-même, sa sincérité ne fait aucun doute. Il est convaincu que les disciples de Jean ont été hostiles à Jésus. Et, au moment où il écrit son évangile (environs de 60), il croit encore avoir sous les yeux des marques de cette hostilité. Sur quoi repose sa conviction qui, en toute hypothèse, ne peut qu'être illusoire puisque le prétendu parti johannite ne paraît nulle part sauf dans la scène du message de Jean-Baptiste et dans les fictions de Matthieu ou du quatrième évangile ? Ici nous retrouvons le problème que nous a déjà présenté l'antimnomie des textes relatifs à la mission de Jean-Baptiste. Et la clef de l'énigme est la même. Luc a eu sous les yeux deux images de Jésus: celle qu'il a reçue à Antioche et celle dont il a fait connaissance à Jérusalem. C'est cette confusion des portraits du Christ qui l'a conduit à l'hostilité du parti de Jean-Baptiste. La preuve de cette assertion va être fournie à l'instant. Mais, avant de la donner, il nous faut préalablement justifier notre troisième allégation.

3. Opposition entre la conduite de Jean-Baptiste et celle de Jésus. — Elle paraît clairement dans le récit de Luc 5, 33. Jésus est assis à la table de Lévi. Les pharisiens et les scribes lui disent: «Les disciples de Jean et ceux des pharisiens jeûnent fréquemment et font des prières, tandis que les tiens mangent et boivent». — A quoi Jésus fait plusieurs réponses parmi lesquelles se trouve la suivante: «Personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres; autrement le vin nouveau fait rompre les outres; il se répand et les outres sont perdues». Si les pharisiens et les scribes étaient seuls à prendre la parole et à signaler la différence de régime qui sépare les disciples de Jean des disciples de Jésus, la haine qui les inspire nous autoriserait à dénier toute espèce de valeur à leur acte d'accusation. Mais la réponse de Jésus nous oblige à écarter ce moyen commode d'interprétation. Jésus ne reproche pas aux pharisiens de formuler des griefs dPnués de réalité. Il tient leurs allégations pour exactes. Il reconnaît avoir rejeté le programme de vie imposé par Jean à ses disciples. Seulement, d'un ton dédaigneux, il explique que son vin nouveau ne peut s'accommoder des vieilles outres de Jean. Les textes précédents nous faisaient assister à l'hostilité des disciples du Baptiste contre Jésus. Ici c'est entre les deux maîtres qu'éclate un conflit non de paroles, mais d'idées. Ils n'ont pas la même conception de la vie. Jean met le salut dans les prières, les jeûnes fréquents, et il y astreint ses disciples. Jèsus déclare qu'un pareil régime serait fatal à sa propagande et il en affranchit ses partisans. Jean a pris des mesures qui, si elles étaient suivies, entraveraient le mouvement chrétien. Est-ce cela qu'on attendait d'un précurseur qui devait préparer les voies au sauveur du monde ? Ne cherchons pas si le cadre de la scène rapportée par Luc est historique. Le contenu l'est sûrement à un degré ou à un autre. Luc n'a pas inventé le contraste entre le régime de vie des disciples de Jean et le régime pratiqué par les disciples de Jésus. Il l'a eu sous les yeux aux environs de l'an 60; il en a souffert. S'il a eu recours à des expédients fictifs, c'est pour s'en expliquer à lui-même et à ses lecteurs l'origine. Le moment est venu d'examiner ses explications et d'essayer nous-mêmes de résoudre le problème dont la solution lui a totalement échappé.

ARTICLE 2. SOLUTION DU PROBLÈME

Un précurseur qui, par définition, devait préparer les voies à son maître et qui a eu la même mission que son maître. Un précurseur dont les partisans ont fait opposition à son maître et qui, lui-même n'a pas eu la même conception que son maître de la propagande chrétienne. Telle est l'énigme qui se dresse devant nous. Le plus ordinairement on a affecté de ne pas la voir pour se dispenser de la résoudre. Parfois pourtant on en a demandé l'explication à tel ou tel mouvement religieux imaginé de toutes pièces et qui ne soutient pas l'examen. On est donc excusable d'aller ici à la recherche d'une solution et de proposer celle qu'on a trouvée, si hardie qu'elle paraisse.

Dans les récits de Luc il y a une thèse et des faits qui la contredisent. La thèse est que Jean est le précurseur de Jésus; elle tient à coeur à Luc qui l'étale devant nous avec complaisance et rapporte de multiples attestations en sa faveur, notamment le discours où Jésus fait le panégyrique de Jean 7, 24, sans oublier néanmoins l'oracle de Malachie aux termes duquel Jean a pour mission de préparer les voies à un personnage, humain lui aussi, mais supérieur.

Les faits qui contredisent la thèse sont ceux que l'on vient d'exposer. Ils sont pour Luc lui-même un gros embarras; ils le gênent beaucoup. Nous concluons qu'ils défient toute contestation. Oui les Jufis ont entendu sur les bords du Jourdain un prédicateur leur annonçant la venue prochaine de Dieu avec un van à la main et menaçant d'un baptême de feu ceux qui ne recevraient pas le baptême d'eau, symbole de la résistance au joug romain et de la fidélité à la religion mosaïque. Oui les partisans de Jean ont témoigné de l'hostilité à Jésus et à ses disciples. Négligeons momentanément la prédication et parlons seulement de l'hostilité.

Autant elle doit être historiquement certaine, autant elle est mystérieuse et même inexplicable au cours de la vie de Jésus. Les deux agitateurs vivaient en même temps. Tous deux ils voulaient accomplir la «rédemption» d'Israël, c'est-à-dire arracher le peuple juif à l'emprise romaine et lui rendre son indépendance. Leur objetif était donc le même. Leur succès, lui non plus, ne différa pas. De tous les coins de la Palestine on accourait vers Jean. De tous côtés aussi on se pressait autour de Jésus. Puisque l'affluence était universelle, la composition de l'assistance devait être sensiblement identique. Les mêmes foules qui allèrent d'abord à l'un, se rendirent ensuite vers l'autre. Pendant tout le cours de sa vie, Jésus n'a point eu à lutter contre le parti de Jean.

L'hostilité surgit après sa mort. Voici comment les choses ont dû se passer. La propagande chrétienne, dont le premier foyer fut Jérusalem, en eut bientôt un autre à Antioche. Et ces deux foyers furent aussi deux écoles. Ajoutons deux écoles divergentes. A Jérusalem on était complètement fermé à l'influence païenne et les usages païens que l'on voyait pratiqués par les Romains inspiraient de l'horreur. A Antioche l'ambiance païenne où l'on était plongé avait émoussé la mentalité religieuse. La loi mosaïque y était toujours vénérée; mais elle se prêtait à des accommodements dont elle faisait les frais. En d'autres termes à Jérusalem on était intégriste, tandis qu'à Antioche on pratiquait un libéralisme dont Paul nous offre l'échantillon. De part et d'autre on attendait le relèvement du royaume de David, on attendait le retour prochain du Christ qui allait opérer ce prodige et rendre à la Palestine l'indépendance; mais on différait sur les règles de la vie.

Ce contraste dans les usages eut sa répercussion dans un autre domaine. L'église d'Antioche se fit naturellement un Christ à son image, un Christ dégagé du servilisme palestinien qui n'aurait pu que compromettre son oeuvre. Et, comme le Christ de Jérusalem était, au contraire, un scrupuleux observateur de la loi mosaïque, il y eut deux conceptions du Christ.

Un conflit devait surgir le jour où les deux doctrines s'affronteraient. Or, elles se trouvèrent en contact en l'an 58, à l'époque où Luc en compagnie de Paul, parcourut la Palestine et séjourna à Jérusalem (Actes 21, 17). Les Actes, en quelques mots très discrets, nous font entrevoir les murmures que la conduite de Paul et de ses compagnons provoqua chez les Juifs de Jérusalem «zélés pour la loi» et dont Jacques se fit l'interprète. Luc apprit alors avec surprise les divergences qui les séparaient, lui et son entourage, des chrétiens de la Palestine dont il pensait jusqu'alors partager la croyance. Antioche avait son Christ; Jérusalem avait le sien: entre les deux il fallait choisir. Le choix de Luc était fait d'avance. Le vrai Christ ne pouvait être que celui de son maître Paul, celui d'Antioche. A Jérusalem on était victime d'une confusion et l'on identifiait avec Jésus un prédicateur contemporain de Jésus. Luc se rappela alors opportunément l'oracle de Malachie 3, 1, où est annoncé un messager chargé de préparer les voies. Ce fut pour lui le trait de lumière qui éclaira l'énigme. Le Christ d'Antioche, le seul vrai Christ, devait, d'après le plan de la Providence, être précédé d'un précurseur qui lui fraierait la voie. Ce précurseur était évidemment le prédicateur des bords du Jourdain, dont les chrétiens de Palestine avaient reçu le baptême et dont ils se faisaient gloire de suivre les enseignements. Et les maximes courroucées que ces chrétiens avaient sans cesse à la bouche étaient des lambeaux de la prédication du précurseur.

Restair à doter ce personnage d'un état civil. Les fragments informe de ses sermons et le baptême qu'il administrait aux foules étaient les seuls matériaux de nature à servir pour une pareille entreprise. Par ailleurs il n'y avait rien et tous les renseignements que l'on voudrait apporter devraient être fournis par l'imagination. Ce ne pouvait être qu'un jeu pour le puissant romancier à qui l'on doit le troisième évangile et qui a forgé de toutes pièces tant de récits, tant de discours si captivants. Luc se mit à l'oeuvre. Le Christ d'Antioche ayant reçu couramment le nom de Jésus (Libérateur), il commença par appeler son précurseur «Don de Dieu», Iôanès, d'où est venu le mot Jean. Il s'occupa ensuite de mettre sur le front de Jean l'auréole des hommes providentiels sans pourtant l'élever au degré de gloire du Christ. Jésus ayant été de très bonne heure, peut-être même avant sa mort, sacré fils de David, devait naturellement garder le monopole de ce privilège. Jean sortit donc de la classe sacerdotale, à l'exemple des Machabées qui descendaient d'un prêter. Son père fut le prêtre Zacharie. Mais, comme Samson, comme Samuel, il fut l'enfant du miracle. Un ange annonça sa naissance et lui donna son nom. Sa fin, comme son origine, fut celle qui conveanit au précurseur du Christ mis à mort par les Romains. Hérode Antipas, créature de Rome, s'empara de Jean et le mit à mort (toutefois des précisions sur cette tragédie ne seront apportées qu'un siècle plus tard par le second éditeur de Marc 6, 17-29 d'où elles passeront chez Matthieu 14, 3-12).

Luc, qui pendant son séjour dans la Palestine, a essuyé les reproches et les injures des chrétiens de Jérusalem, s'est persuadé que son maître, le Christ d'Antioche, avait, au cours de son ministère, été lui aussi ne butte au même conflit. De là la scène du message de Jean où Jésus, selon le mot de saint Jérôme, frappe (percutit) les disciples du précurseur, tout en comblant d'éloges le précurseur lui-même. Cette scène a été imaginée et construite par Luc, tout comme cette auter où Jésus justifie son libéralisme en réponse aux pharisiens qui lui opposent le rigorisme de Jean. Luc est obligé de reconnaître que les «vieilles outres» du précurseur ne sont pas adaptées au «vin nouveau» du Christ. C'est pour se consoler et pour consoler ses lecteurs de cette déconvenue qu'il invente le panégyrique de Jean par Jésus dont on vient de parler, et surtout qu'il monte toute la scène du baptême où Jésus se soumet spontanément au rite de Jean. Scène honorable pour Jésus dont le ciel lui-même proclame la grandeur; mais glorieuse aussi pour le précurseur qui baptise son maître.

Voilà l'origine du baptême dégagée de la gangue des confusions qui l'obscurcissent. Pour la comprendre, il faut tirer préalablement au clair le problème de Jean et de Jésus. Jean et Jèsus c'est un seul et même personnage métamorphosé après sa mort par les chrétien d'Antioche, puis dédoublé involontairement par Luc quand, au cours de son séjour dans la Palestine, il eut connaissance de la transformation accomplie. Comme suite à ce dédoublement, Luc s'est imaginé que le baptême de Jean avait servi à préparer le baptême véritable institué par Jésus. En réalité le baptême est un rite mosaïque (ici p. 144) utilisé par Jésus quand il prêcha la guerre sainte contre Rome et qui fut le symbole du serment prêté par les pieux Juifs de tenir Dieu pour le seul roi de la Palestine et Jèsus pour son lieutenant.

[1] Voir dans Eisler Iesous basileus ou basileusas 2, 92-103 des textes copieux qui éclairent le baptême de Jean.



Giuseppe
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Re: Joseph Turmel's solution of the enigma called «John the Baptist»

Post by Giuseppe »

If Turmel is correct in this analysis, then all the evidence for a historical "John the Baptist" is really invented "evidence" to explain the different evolution of the cult arisen around the historical Jesus.

Ultimately, evidence for the same historicity of Jesus: because everyone who thinks that John the Baptist existed, he/she is thinking really (without knowing it) that Jesus existed.

But note that this conclusion differs greatly from Bob Price's hypothesis about John the Baptist being the original and Jesus his invented clone, since for Turmel the exact contrary happened: "John the Baptist" was the invented clone to explain, for Christian Gentile readers, the survived existence of a Jewish-Christian portrait of the historical Jesus.
Giuseppe
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Re: Joseph Turmel's solution of the enigma called «John the Baptist»

Post by Giuseppe »

I open again this thread because the Chris Albert Wells's theory about Jesus and John being two rival (invented) heirs of the Teacher of Righeousness resembles closely the Turmel's view about John being a mask for a rival (Judaizing) Jesus, versus the gentilizing Jesus.

Really, on both the theories (of Turmel and Chris Albert Wells), the Baptist passage in Josephus is a late Christian interpolation.

The hypothesis that the Baptist was a reaction to marcionism doesn't explain why in Marcion John is the polemical target of the marcionite Jesus. Accordingly there had to be a previous memory of John, not as baptizer of Jesus (since the baptism of Jesus by John is also a way to minimize John's legacy, not only a way to humanize/judaize Jesus against Marcion), and the best explanation found until now is precisely that expressed by both Joseph Turmel and C. A. Wells: John was already a mask for a rival figure, the apocalypticist Jesus of the Judaizers, for Turmel, the Teacher of the Righteousness redivivus of the Judaizers, for C.A. Wells.

Also Jean Magne thinks that John, as "YHWH saves", was a first attempt to judaize the Alien Father giver of grace (=gnosis), by covering him by a human Jewish figure.

All the authors examined here agree on a point: "John", as final product (and remember that only as final product he was considered by Marcion and synoptics), was an icon of the Judaizers, beyond his real origin.
Giuseppe
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Re: Joseph Turmel's solution of the enigma called «John the Baptist»

Post by Giuseppe »

Also the pseudo-Clementines remember the conflict between Simon Magus and Dositheus on the legacy of John the Baptist, so giving further support to the thesis that John's function was to represent someone of important. It was not the figure of John per se the real object of dispute, but the entity himself represented by John: Jesus himself in a not more loved form? The Teacher of Righteousness in an older form? A rival deity? We don't know. What we know is that the theories of the Origins that are able to describe this fact have surely a better explanatory power than the theories that assume passively the historicity of John the Baptist.
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