Patrick Boistier on why proto-Mark preceded Mcn
Posted: Tue Jun 21, 2022 11:42 pm
Patrick Boistier writes so, pages 374-376 of his Jésus, anatomie d'un mythe:
So the rapidity of the introduction of Jesus can't be explained as effect of the his being alien, but as the natural corollary of the his factual not-existence. This fact goes against the Marcionite priority.
IV — Rapports entre Marc et l'Evangelion.
Le pasteur Etienne Trocmé, dans son étude sur La formation de l'Evangile selon Marc (1963), semble bien avoir établi que les treize premiers chapitres de Marc ont paru avant les trois derniers (qui racontent la Passion et la Résurrection).
A eux seuls, les treize premiers chapitres ne constituaient qu'un simple recueil des “paroles du Seigneur”. Les trois derniers chapitres leur ont été rattachés pour former ensemble un nouveau “genre littéraire” appelé à un immense succès: l'Evangile (bien que ce nom lui-même ne fut adopté qu'après le succès de l'Evangelion).
Dans le Selon Marc, la venue de Jésus-Christ est annoncée par Jean-Baptiste, puis il apparaît brusquement au Jourdain (1/9):
“En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain”.
Comme dans le Selon Marc, dans l'Evangelion la carrière terrestre du Christ commence ex-abrupto:
“La quinzième année du règne de Tibère César, aux temps de Pilate, Jésus-Christ descendit du ciel à Capharnaum, ville de Galilée”... [1]
Cette même soudaineté dans les deux textes a souvent poussé les critiques indépendants à affirmer l'antériorité de l'Evangelion sur le Selon Marc. En réalité, cette soudaineté s'explique par le fait que la vie publique de Jésus, sa mort et sa résurrection furent imaginées avant sa naissance et son enfance.
Prosper Alfaric (dans un article paru en Janvier 1937 dans la Revue de l'histoire des religions et intitulé Les Prologues de Luc) ne reconnaît pas Marcion comme auteur de l'Evangelion:
“L'on ne peut supposer que c'est l'hérésiarque lui-même qui a composé l'évangile dont il se réclamait. L'ouvrage a pu être intitulé par lui en faveur de ses propres doctrines. Il n'en procédait pas directement, car, s'il eût été son oeuvre propre, il cadrerait mieux avec sa gnose et la mettrait davantage en relief”...
Il n'empêche que, pour Alfaric, l'origine de l'Evangelion est gnostique:
“Il a été [...] utilisé par un autre gnostique, qui représente un mouvement parallèle, mais assez différent. Une des paraboles propres à Luc, celle du riche torturé dans l'enfer et du pauvre reposant sur le sein d'Abraham (16/19-31), qui se lisait dans le texte de Marcion, se trouvait interprétée par l'Alexandrin Basilide dans le sens de sa propre doctrine, au XIII° livre de ses commentaires”.
Un autre passage de l'Evangelion, correspondant aux versets 25 à 28 du chapitre 10 de Luc, “se lisait aussi dans l'évangile de Basilide, d'après la témoignage d'Origène”. Il semble donc que Basilide et Marcion se servaient du même évangile. Origène déclare, en effet, à propos du passage qui vient d'être signalé:
“Ces choses-là sont dites contre les disciples de Valentin, de Basilide et de Marcion, car ils ont, eux aussi, ces textes dans leur évangile”.
Bien que l'entrée en scène de Basilide ait précédé de peu celle des deux autres gnostiques, ces trois-là étaient contemporains. La Chronographie d'Eusèbe date de la manifestation publique de Basilide de la dix-septième année du règne d'Hadrien, c'est-à-dire de l'an 133, à l'époque même où les Juifs, sous la direction de Bar Kochba, se soulevaient pour la dernière fois contre Rome: “Nous comprendrons ainsi la vogue du courant anti-juif, représenté par Basilide comme par Marcion”. Alfaric ajoute qu'“Un autre adepte de la gnose, le Syrien Cerdon, que divers auteurs nous présentent comme le maître de Marcion, utilisait déjà, d'après son hérésiologue, l'édition courte de l'Evangile selon Luc”, c'est-à-dire l'Evangelion.
On trouve confirmation de ceci dans le traité en latin intitulé Contre toutes les hérésies, dont l'attribution est controversée: “il adopta le seul Evangile de Luc, mais cependant point dans son entier”. Alfaric en arrive à l'opinion suivante au sujet de l'origine de l'Evangelion:
“Comme c'est par des Orientaux que nous le voyons d'abord utilisé, nous sommes en droit de supposer qu'il vient d'Orient. Basilide s'est formé à Antioche, dans un milieu tout pénétré de gnose [...]. C'est à l'école d'un de ses anciens condisciples, Satornil - qui étudia, puis enseigna dans la même ville - que le Syrien Cerdon, le maître de Marcion, fut gagné à la même doctrine. Ces coincidences sont significatives. Elles permettent de conjecturer que l'Evangelion aura vu le jour à Antioche. C'est de là qu'il aura été porté par Basilide à Alexandrie et par Cerdon à Rome”, entre 133 et 135 de notre ère.
Alfaric en tire la conclusion suivante:
“Il est naturel de penser que le texte du premier Luc [c'est-à-dire l'Evangelion] existait un peu auparavant [l'an 135]. Mais rien n'oblige à remonter bien plus haut. Tout s'explique pour le mieux, s'il a paru dans les dix ou quinze années précédentes, sous le règne d'Hadrien [empereur de 117 à 138]”
Dans cette optique, l'Evangelion aurait été écrit entre 120 et 125, très peu de temps après le texte attribué à Marc. On peut dire de ces deux écrits qu'ils sont contemporains, mais avec la priorité au Selon Marc.
[1] Lucien de Samosate (II° siècle) a raillé cette surcharge de précisions: “le 7 du mois courant, Zeus étant prytante, Poséidon proèdre, Apollon épistate et Mômos fils de la Nuit, greffier, le Sommeil a proposé ce qui suit...” Mais d'autres, tel le théologien Jean Guitton, en ont été subjugués: “Si c'est une légende — écrit Guitton —, au moins est-ce une légende qui a pris ses précautions avec les chronologies et qui est bien grimée en histoire” (dans Jésus, Grasset, p. 64, 1956). Ce à quoi Georges Las Vergnas (Jésus-Christ a-t-il existé?, Paris, 1958) répondit: “Ce n'est pas une légende qui se grime: c'est une foi qui s'historicise. Elle ne prend pas des précautions mais des références”.
Tschudi (l'auteur qui, au XVI° siècle, chercha à authentifier la légende de Guillaume Tell) aurait pu écrire: “Tell a visé la pomme, Albert I° étant empereur d'Allemagne et duc d'Autriche, Philippe le Bel étant roi de France, Edouard II roi d'Angleterre, Wenceslas III roi de Bohème, Clément V pape et Gessler bailli du canton d'Uri”.
Le pasteur Etienne Trocmé, dans son étude sur La formation de l'Evangile selon Marc (1963), semble bien avoir établi que les treize premiers chapitres de Marc ont paru avant les trois derniers (qui racontent la Passion et la Résurrection).
A eux seuls, les treize premiers chapitres ne constituaient qu'un simple recueil des “paroles du Seigneur”. Les trois derniers chapitres leur ont été rattachés pour former ensemble un nouveau “genre littéraire” appelé à un immense succès: l'Evangile (bien que ce nom lui-même ne fut adopté qu'après le succès de l'Evangelion).
Dans le Selon Marc, la venue de Jésus-Christ est annoncée par Jean-Baptiste, puis il apparaît brusquement au Jourdain (1/9):
“En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain”.
Comme dans le Selon Marc, dans l'Evangelion la carrière terrestre du Christ commence ex-abrupto:
“La quinzième année du règne de Tibère César, aux temps de Pilate, Jésus-Christ descendit du ciel à Capharnaum, ville de Galilée”... [1]
Cette même soudaineté dans les deux textes a souvent poussé les critiques indépendants à affirmer l'antériorité de l'Evangelion sur le Selon Marc. En réalité, cette soudaineté s'explique par le fait que la vie publique de Jésus, sa mort et sa résurrection furent imaginées avant sa naissance et son enfance.
Prosper Alfaric (dans un article paru en Janvier 1937 dans la Revue de l'histoire des religions et intitulé Les Prologues de Luc) ne reconnaît pas Marcion comme auteur de l'Evangelion:
“L'on ne peut supposer que c'est l'hérésiarque lui-même qui a composé l'évangile dont il se réclamait. L'ouvrage a pu être intitulé par lui en faveur de ses propres doctrines. Il n'en procédait pas directement, car, s'il eût été son oeuvre propre, il cadrerait mieux avec sa gnose et la mettrait davantage en relief”...
Il n'empêche que, pour Alfaric, l'origine de l'Evangelion est gnostique:
“Il a été [...] utilisé par un autre gnostique, qui représente un mouvement parallèle, mais assez différent. Une des paraboles propres à Luc, celle du riche torturé dans l'enfer et du pauvre reposant sur le sein d'Abraham (16/19-31), qui se lisait dans le texte de Marcion, se trouvait interprétée par l'Alexandrin Basilide dans le sens de sa propre doctrine, au XIII° livre de ses commentaires”.
Un autre passage de l'Evangelion, correspondant aux versets 25 à 28 du chapitre 10 de Luc, “se lisait aussi dans l'évangile de Basilide, d'après la témoignage d'Origène”. Il semble donc que Basilide et Marcion se servaient du même évangile. Origène déclare, en effet, à propos du passage qui vient d'être signalé:
“Ces choses-là sont dites contre les disciples de Valentin, de Basilide et de Marcion, car ils ont, eux aussi, ces textes dans leur évangile”.
Bien que l'entrée en scène de Basilide ait précédé de peu celle des deux autres gnostiques, ces trois-là étaient contemporains. La Chronographie d'Eusèbe date de la manifestation publique de Basilide de la dix-septième année du règne d'Hadrien, c'est-à-dire de l'an 133, à l'époque même où les Juifs, sous la direction de Bar Kochba, se soulevaient pour la dernière fois contre Rome: “Nous comprendrons ainsi la vogue du courant anti-juif, représenté par Basilide comme par Marcion”. Alfaric ajoute qu'“Un autre adepte de la gnose, le Syrien Cerdon, que divers auteurs nous présentent comme le maître de Marcion, utilisait déjà, d'après son hérésiologue, l'édition courte de l'Evangile selon Luc”, c'est-à-dire l'Evangelion.
On trouve confirmation de ceci dans le traité en latin intitulé Contre toutes les hérésies, dont l'attribution est controversée: “il adopta le seul Evangile de Luc, mais cependant point dans son entier”. Alfaric en arrive à l'opinion suivante au sujet de l'origine de l'Evangelion:
“Comme c'est par des Orientaux que nous le voyons d'abord utilisé, nous sommes en droit de supposer qu'il vient d'Orient. Basilide s'est formé à Antioche, dans un milieu tout pénétré de gnose [...]. C'est à l'école d'un de ses anciens condisciples, Satornil - qui étudia, puis enseigna dans la même ville - que le Syrien Cerdon, le maître de Marcion, fut gagné à la même doctrine. Ces coincidences sont significatives. Elles permettent de conjecturer que l'Evangelion aura vu le jour à Antioche. C'est de là qu'il aura été porté par Basilide à Alexandrie et par Cerdon à Rome”, entre 133 et 135 de notre ère.
Alfaric en tire la conclusion suivante:
“Il est naturel de penser que le texte du premier Luc [c'est-à-dire l'Evangelion] existait un peu auparavant [l'an 135]. Mais rien n'oblige à remonter bien plus haut. Tout s'explique pour le mieux, s'il a paru dans les dix ou quinze années précédentes, sous le règne d'Hadrien [empereur de 117 à 138]”
Dans cette optique, l'Evangelion aurait été écrit entre 120 et 125, très peu de temps après le texte attribué à Marc. On peut dire de ces deux écrits qu'ils sont contemporains, mais avec la priorité au Selon Marc.
[1] Lucien de Samosate (II° siècle) a raillé cette surcharge de précisions: “le 7 du mois courant, Zeus étant prytante, Poséidon proèdre, Apollon épistate et Mômos fils de la Nuit, greffier, le Sommeil a proposé ce qui suit...” Mais d'autres, tel le théologien Jean Guitton, en ont été subjugués: “Si c'est une légende — écrit Guitton —, au moins est-ce une légende qui a pris ses précautions avec les chronologies et qui est bien grimée en histoire” (dans Jésus, Grasset, p. 64, 1956). Ce à quoi Georges Las Vergnas (Jésus-Christ a-t-il existé?, Paris, 1958) répondit: “Ce n'est pas une légende qui se grime: c'est une foi qui s'historicise. Elle ne prend pas des précautions mais des références”.
Tschudi (l'auteur qui, au XVI° siècle, chercha à authentifier la légende de Guillaume Tell) aurait pu écrire: “Tell a visé la pomme, Albert I° étant empereur d'Allemagne et duc d'Autriche, Philippe le Bel étant roi de France, Edouard II roi d'Angleterre, Wenceslas III roi de Bohème, Clément V pape et Gessler bailli du canton d'Uri”.
So the rapidity of the introduction of Jesus can't be explained as effect of the his being alien, but as the natural corollary of the his factual not-existence. This fact goes against the Marcionite priority.